vendredi 10 février 2017

L'instinct:quand l’homme devient un peu manchot



Aujourd’hui vous devez penser que je m’éloigne un peu de mes sujets. Et pourtant nous allons revenir à la nature et donc à l’environnement. J’ai vécu une expérience un peu particulière hier soir à Paris-Dauphine : je suis allée passer plus d’une heure à écouter un débat sur un sujet qui m’interpelle et j’en suis ressortie encore plus perdue. Ou du moins en attente de réponses (je réfléchis trop, je sais).

Le thème du débat : « l'instinct, une plongée dans l’inconnu ». Il était organisé à l’occasion de la sortie du film l’Empereur de Luc Jacquet mercredi prochain. Je ne jette la pierre à personne. Le concept est plus que difficile à appréhender. D’où vient l’instinct ? Comment l’expliquer ? Que se passe-t-il chez les animaux ? Luc Jacquet le dit très bien : « l’instinct interpelle par la non-réponse qu’on lui donne. La part de mystère est fascinante ». Je suis donc restée fascinée mais sans réponse. C’est déjà beaucoup dans un bref instant. Je ne vais pas arrêter pour autant ma note ici, ce serait dommage. Le panel était assez large pour donner un éclairage sur l’instinct.


Côte à côte, Annika Grill musicienne électro pop avec son groupe Annika and the Forest, Gilles Bœuf biologiste professeur à Pierre et Marie Curie, Joël Chevrier chercheur en physique fondamentale et Florence Lautrédou psychanalyste.

Le manchot empereur est un parfait symbole de l’instinct. Comment un bébé manchot peut-il trouver la mer?

Luc Jacquet affirme n’avoir jamais observé avant ce tournage le comportement sur la banquise du poussin (beau bébé tout de même d’un mètre 10 et 25 kilos) quittant la colonie. ‘Ils savent tous que c’est le moment. Je les ai suivis pendant 2 jours de marche. Là ils ne se jettent pas tout de suite à l’eau. Ils hésitent encore, ça va durer 3 jours et puis ils se lancent. Personne ne leur a appris.’

Pour Gilles Bœuf, il y a la mémoire de l’espèce . Là encore complexe à comprendre. Pendant 18 ans, ce biologiste a étudié le saumon atlantique ( à chacun ses passions). Il en parle avec un tel enthousiasme que la salle sourit. Soudain ces saumons quittent leur rivière natale, ils vont trouver l’océan. Ils vont s’adapter à la salinité, faire 15 000 kilomètres et revenir pour perpétuer l’espèce. On peut y trouver une explication physique. La glande thyroïde joue ainsi un grand rôle. Si on bloque son fonctionnement, le saumon ne part pas. Mais il est difficile de se contenter d’une explication physique quand on aspire à comprendre l’instinct.


Joël Chevrier s’en amuse. « L’instinct, c’est la dernière chose que vous verrez dans un livre de physique ». Et pourtant il y a des signes qui ne trompent pas. « Dans ce métier, nous avons des fulgurances. » Joël Chevrier parle ainsi d’Isaac Newton et de sa pomme.  Certes elle lui tombe sur la tête. Mais il a pris aussi le temps d’observer la lune, de créer un parallèle, de « sentir », pourrait-on dire, cette notion de gravitation.

Il nous cite un exemple peu connu, celui de Friedrich August Kekulé Von Stradonitz. Ce chimiste qui travaillait en particulier sur les structures spatiales des molécules ne trouvait pas de solution à la problématique du benzène. Une nuit, il rêva de l'Ourobos,serpent mythique probablement né en Mésopotamie qui se mordait la queue. Il se serait réveillé en hurlant "Euréka". La première molécule cyclique vit ainsi le jour. Certains parlent dans ce cas de 9ème sens. Je vous laisse plancher le temps que vous souhaitez sur le sujet.
Chez les artistes, la notion d’instinct est plus naturelle . Annika qui n’a jamais appris la musique est formelle : « J'ai toujours eu ce besoin viscéral de créer. Le moment même de création peut s’apparenter à l’instinct » Tous l’ont reconnu hier soir, ils font leur métier parce qu’ils sentent que c’était inscrit en eux. Nous sommes quelques-uns à le penser. Mais est-ce de l’instinct ou de l’intuition ?


Florence Lautrédou qui a cité le jaguar en exemple de l'instinct pose ouvertement la question. « Vous parlez tous d’émotions, d’idées. Ce sont des notions plus intellectuelles. Nous sommes plus proches de l’intuition. Est-ce de l'instinct? » Avec l’instinct, nous sommes dans le registre des sensations. « Il est plus difficile pour l’être humain de revenir à ses sensations. » Et Joël Chevrier de renchérir sur le lien entre le corps et l’instinct. « Chez les manchots et les artistes, le corps est engagé, un scientifique, lui c’est une tête. Je pense que cette relation au corps est liée à l’instinct. » D’ailleurs en regardant le film de Luc Jacquet, il lui est tout de suite apparu que l’homme est bien loin de toutes ces contraintes physiques que rencontre l’animal et encore plus en ville. Des interférences nous parasitent et nous éloignent de nos pulsions instinctives. Moment magique de l’Empereur : quand la femelle et le mâle se « passent le relais ». La femelle épuisée doit transmettre très rapidement par -20° l’œuf au mâle qui va le couver pendant 120 jours. Tout est « chronométré. ». Elle partira ensuite pour reprendre des forces et remplir son ventre pour nourrir le nouveau né. Au moment où elle revient, le poussin éclot. Pour Luc Jacquet « cette notion de temps très présente est fascinante ». Qu’est ce que cette horloge biologique ? Nous l’avons nous aussi les femmes, ne manque-t-on pas de nous répéter.


Finalement l’instinct le plus fort chez l’homme serait celui de conservation. Cela a été répété à plusieurs reprises au cours du débat. L’instinct aussi de nous perpétuer. Pour le reste l’homme est de plus en plus déconnecté de cet instinct car déconnecté de la nature. Joël Chevrier dit avec humour « il faudrait faire du manchotmorphisme ». Et Luc Jacquet d’ajouter « l’Empereur, c’est l’épure parfaite ». L’instinct est donc l’inné. Qu’en faisons-nous ? « Je ne vois aucune école qui en tient compte » explique Luc Jacquet. Je n’ai donc toujours pas la réponse mais je suis sortie enrichie de cette soirée. J’ai finalement envie de reprendre cette idée de Gilles Bœuf: « Nous devons garder notre capacité à nous émerveiller ». C’est peut-être là la clé. Retrouver cette part animale, cet instinct. Savoir que nous faisons partie de la nature qui nous entoure. Cela ne peut que mener à la sagesse. Et nous en avons bien besoin par les temps qui courent.




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